PÉRIGNAC : PAICHEL ET LES ATLANTES

Comme il fallait s’y attendre, Paichel arriva bientôt en Atlantide.

Un homme, paraissant dans la cinquantaine, vêtu d’une peau de rhinocéros laineux et voguant à la dérive sur un radeau délabré, voilà comment débuta l’aventure d’un pauvre naufragé qui échoua sur les côtes de la fabuleuse Atlantide. Il était là, sur une grève, semblable à une baleine expurgeant un dernier jet d’eau de sa gueule. Dès qu’il fut en mesure de sortir un premier son de son gosier, le missionnaire en profita pour crier son indignation :

- Sacré-nom-d’un-chien, tu parles d’un maudit voyage! On a beau être un missionnaire, est-ce une raison pour se retrouver trois jours en haute mer, charrié par les vagues et les vents du tonnerre ? Je ne souhaiterai jamais cela à mon pire ennemi!

- Silence, lui répondit une petite voix intérieure. Il fallait bien que le vent te pousse rapidement sans quoi tu en aurais eu pour des mois en haute mer, mon pauvre ami. Tu devrais te taire plutôt que de critiquer la manière dont s’est faite ton arrivée en Atlantide. Tu es finalement arrivé et c’est tout ce qui importe.

- Tout de même, si j’avais su en quittant les Ba-Na-Nutes que je voyagerais trois jours sur des vagues énormes, je serais demeuré là-bas!

Paichel en voulait à cette mystérieuse voix qui venait de le tourmenter. En descendant de ce radeau, échoué dans des quenouilles, le pauvre homme fut attiré par la beauté du paysage. On se serait cru sur une île exotique où palmiers, dattiers contrastaient agréablement avec l’orée d’un bois. Le sable de la plage s’étendait jusqu’à une colline recouverte de fleurs multicolores et par de hautes fougères luxuriantes. Au-delà de cet amas de couleurs se dressait une haute montagne rosée dont plusieurs galettes s’en étaient détachées pour former une sorte de promontoire. Paichel l’escalada habilement afin de pouvoir explorer les environs. Devant lui, se trouvait la mer, belle et menaçante. Derrière lui s’élevait cette montagne rose, couronnée d’une calotte de glace. En regardant à gauche, il vit une cascade et à droite, un bois serpenté par plusieurs sentiers. Dans ces conditions, le naufragé préféra prendre cette direction. Une fois descendu de son observatoire rocheux, notre homme voulut s’introduire dans ce bois. Mais, tout à coup, il entendit un son plaintif qui semblait provenir du promontoire.

- Je t’en prie, viens m’aider à me dégager de ces pierres, gémit une voix haletante.

- J’arrive, lui cria le missionnaire en s’approchant rapidement.

Un chien était enterré sous une couche de pierres mais, à part le fait d’être coincé entre deux galettes de roches, l’animal géant ne semblait souffrir d’aucune blessure. En effet, ce chien noir, aux oreilles blanches et au museau rouge, était de la taille d’un cheval. Pour le sortir de là, Paichel trouva d’abord un tronc d’arbre et s’en servit comme levier. Une fois la première galette dégagée, le chien parvint à se frayer un chemin jusqu’à la sortie.

- Wouf de wouf, s’empressa-t-il de dire, j’ai bien cru que ma dernière heure était arrivée. Tu es mon sauveur et je te serai toujours fidèle comme tout chien qui se respecte. Quel est ton nom, mon maître?

- Paichel et toi ?

- Moi? Je n’ai pas de nom ; je ne me souviens pas d’avoir été appelé par quelqu’un au cours de ma vie. Je suis un chien en liberté.

- Alors, que dirais-tu de GALETTE ?

- En souvenir de ces galettes de pierres, je suppose ?

- Oh, si tu n’aimes pas ce nom, je peux le changer?

- Non, Galette me va à merveille. Tu sais, j’ai failli y laisser ma peau de chien en passant devant cette montagne. J’ai éternué et voilà quel en fut le résultat. Ces galettes de roches sont si vieilles que la falaise s’effrite comme un os millénaire. Mais c’est évident que cela t’importe peu. Tu n’es pas un géant et par conséquent, tu dois être l’un de ces étrangers qui habitent de l’autre côté de la péninsule?

- Non, je suis un naufragé.

- Ah ! C’est mieux, oui...

- Pourquoi?

- Mais parce que je me serais senti obligé de te détester comme les géants. Je suis un chien géant, n’est-ce pas!

- C’est bête!

- Mais je suis une bête, mon maître! Comme tu n’es pas l’un de ces étrangers aux pouvoirs magiques, je t’autorise à monter sur mon dos. Tu veux te rendre quelque part comme tout le monde, non ?

- Oh, je ne sais vraiment pas où aller, Galette. Tu vois, je dois accomplir une mission et comme toujours, je suis le dernier à savoir en quoi elle consiste. Le mieux serait d’emprunter ce sentier et ensuite, c’est la providence qui fera le reste.

Décidément, le destin plaça encore une fois un chien sur la route de notre farfelu missionnaire pour l’accompagner dans son aventure. L’homme prit place sur le dos de la bête géante et les deux nouveaux amis pénétrèrent dans le bois. Paichel ne connaissait pas encore le contenu de sa mission. Il savait toutefois que ses Maîtres de l’invisible ne lui laisseraient pas le temps de prendre des vacances.

Au bout d’un sentier tortueux se trouvaient les restes calcinés d’un gros cochon sauvage. Les cendres chaudes d’un feu de campeur indiquaient que des géants venaient de quitter cet endroit depuis une demi-heure environ. Étonné, Galette dit à son cavalier :

- C’est étrange, les géants ne viennent jamais si près des côtes normalement. Ils vivent au centre des terres.

- Mais sur quoi te bases-tu pour dire que ce feu a été fait par des géants?

- Mais c’est d’abord à cause qu’ils font toujours leurs feux en rond, comme leurs villages et leurs temples. Puis, tu as vu la taille du cercle? Ce n’est pas un petit trou ça! Si je te dis que des géants sont passés par ici, c’est pour t’avertir d’être très vigilant et de ne pas parler trop fort. Ils ont non seulement des grosses oreilles, mais des nez très fins.

- Ce côté-ci de la péninsule est inhabité normalement?, demanda le missionnaire.

- Non, il y a quelques familles de pêcheurs qui habitent le long des côtes. Ils ont environ ta taille mais ils ressemblent à des primates. Les pêcheurs sont pires que les géants ; c’est mon humble avis. Ils aiment se quereller entre eux et surtout se disputer les femmes. Les géants sont normalement pacifiques et sédentaires. C’est cela qui m’inquiète, Paichel. Pas moins de cent lunes les séparent de leurs villages. Il se peut qu’une guerre éclate entre les géants et les pêcheurs ; c’est du moins la seule explication possible actuellement. Je dois en avertir les prêtresses du temple de Poséidon.

- Les prêtresses du dieu de la mer? Sacré nom d’un chien, quelque chose me dit que c’est par elles que je connaîtrai le contenu de ma mission. Allons mon brave cheval... vite au temple!

- Oh! Là! L’ami naufragé, s’empressa de répondre Galette, ais-je l’air d’un cheval ou d’un chien? Si la réponse est un chien, alors pourquoi m’appeler CHEVAL?

- Pardonne-moi cette méprise ; tout de même, il faut que tu réalises que les chiens de ta taille sont plutôt rares dans mon pays.

Galette ne fit aucun commentaire et trotta rapidement sur le sentier. Si certains cavaliers prétendent qu’il est difficile de voyager à dos de chameaux, ils devraient faire l’expérience sur le dos d’un chien. Il est tout à fait inutile de le faire marcher droit. La monture fait des zigzags sur la route et s’arrête souvent pour lever la patte et arroser un arbre qui présente l’aspect d’un poteau. Paichel ne s’en plaignait pas du tout. Il se laissait conduire en récitant un triste poème du moyen âge :



Ah ! J’en étions point vraye verité
Si, par homme regardions d’oeil réservé
Sur belle page, nom du conte ici cité
“Bellefroi et beau cavalier”

Van allé, haillons portant
Belle a vu beau cavalier
Amour fol, itou passant
Car vraye bonheur n’est point chaussé

Belle a vu beau cavalier
Haussé sur un cuir brillant
Mais l’oeil noble étions trop pressé
Pour voir pauvre paysanne attristée

Triste d’avoir haillons et coeur pendant
Pauvre fille avions visage blanc et point vivant
Car de cavalier, aucun regard reconnaissant
Et au loin, alla par champ.

Autres paysans, de la voir pleurer et rien à conter
Chantions sans pouvoir la consoler
Belle qui rêve à beau cavalier charmant
Voit bel homme et dans ses bras la prend

Triste histoire et vraye verité
Car à l’arbre belle s’est confiée
Pensions y voir beau cavalier
Bras tendus, elle s’y pend

Le pauvre compagnon de route éprouvait de la difficulté à saisir le sens exact des mots de ce poème du moyen-âge. C’était du vieux français d’avant la période de la Renaissance et de plus, s’y était mêlé une sorte de vocabulaire rurale. Il a donc fallu que le missionnaire lui résume le contenu de ces vers en quelques phrases.

Une paysanne voit un beau cavalier traverser un champ et en tombe amoureuse. Mais ce noble ne la regarde point et poursuit sa route, indifférent à son regard. On cherche à la consoler sans y parvenir. Désespérée de ne pouvoir s’attirer l’amour du beau cavalier, la belle va confier ses peines à un arbre avant de s’y pendre.

Au loin, pointait déjà le mont Cloti, demeure des prêtresses du temple de Poséidon (Neptune). Il n’était pas tellement élevé et le chien emprunta un joli sentier qui montait entre deux rangées de pommiers. En effet, le mont Cloti se dressait au centre d’un vaste verger rempli de pommiers, de poiriers et même de citronniers. Au-delà de cette région, s’étendait une vaste forêt tropicale où y vivaient les plus belles espèces d’oiseaux du monde et sa flore était d’une richesse extrême. Puis, en avançant encore plus loin à l’intérieur de l’Atlantide, on y voyait une chaîne de montagnes qui divisait trois autres régions de toute beauté. La première portait le nom d’ORICALQUE à cause de ses importants gisements de métal rouge, qui brillait comme le feu. L’autre région se nommait RAYA, terre du soleil. Ce lieu était sacré pour les tribus de “O”. Son caractère sacré lui venait de sa forme arrondie comme le soleil à son zénith. Cette terre dorée était simplement le lieu où tomba le plus gros météorite de tous les temps. Il faisait quelque deux cents kilomètres de circonférence et se trouvait enfoncé dans un sol très riche en phosphore. L’immense caillou de l’espace provenait d’une planète détruite depuis des milliers d’années. Les géants vénéraient cette pierre ronde et plate. La troisième région se trouvait au coeur d’une vallée très fertile, soit dans la partie étroite de la péninsule ou presqu’île de ce vaste continent. On lui donnait simplement le nom de 0-DA. C’était la terre des géants agriculteurs. Le mot “DA” signifiait dans la langue de ces primates: Le grand.

Paichel se retrouva bientôt devant les portes du temple. Elles étaient hautes, rondes et en or massif. C’était suffisant pour exciter ce maniaque de l’or. Galette lui dit en levant une patte afin de gratter sur la porte :

- Les prêtresses sont peut-être dans leur bain rituel ; il ne faudrait pas les déranger lorsqu’elles font des libations au dieu de la mer. J’ai l’impression que la portière ne m’a pas entendu gratter ; appelle-là, Paichel.

- Hou! Hou!, fit-il timidement.

- Allons, plus fort que ça! On dirait que tu as peur de les déranger? Entre nous, j’appelle cela de la prudence. Tu sais ce qu’elles font aux visiteurs lorsqu’elles sont en colère?

- Je pense que tu vas me le dire pour m’aider à combattre ma peur!, lui dit le missionnaire.

- Tu as peur? Moi aussi. Ces prêtresses coupent la tête des hommes qui osent mettre leur nez dans leurs affaires sacrées. Même les géants préfèrent se tenir loin du mont Cloti à cause de cela.

Paichel avala sa salive en entendant le bruit de la grande porte. Quelqu’un tirait sur plusieurs loquets sécuritaires et à chaque fois, un grincement rappelait le son que faisaient les portes des monastères moyenâgeux. Ces lourds verrous étaient faits pour demeurer fermés. L’homme avait peur de trouver une armée d’Amazones derrière cette porte ou bien une horde de sorcières, armées de balais magiques et de poudres maléfiques. Le chien recula dès que la porte s’ouvrit lentement. C’est alors que le cavalier sentit des picotements partout en voyant une fort jolie femme aux seins nus et portant un simple voile sur les hanches.

- Baba... Ba... Ba... Ba... s’exclama-t-il dans une langue inconnue des dictionnaires universels.

- Bonjour, étranger, lui dit la jeune fille en lui souriant. Vous êtes Fontaimé Denlar Paichel ? Notre mère nous a prévenues de votre arrivée prochaine. Veuillez donc me suivre en laissant votre monture à la porte.

Le naufragé s’empressa de mettre pieds à terre et caressa la tête de son fidèle ami en lui recommandant de ne pas s’éloigner au cas où...

- Mais venez Paichel, mes soeurs seront heureuses de vous rencontrer.

- Oh! Je suis votre humble serviteur, mademoiselle.

- Vous êtes trop charmant!

Le temple de Poséidon possédait des centaines de corridors comme dans un labyrinthe cylindrique. Un visiteur s’y perdait facilement comme en témoignaient des centaines de squelettes étendus ici et là dans ces galeries sombres. Paichel se sentait beaucoup moins brave à présent qu’il se savait à la merci des prêtresses. Il souhaitait fausser compagnie à son hôtesse et fuir vers la sortie. Mais voilà, saurait-il la retrouver?

- Vous avez la main moite et froide, lui dit la prêtresse en lui tenant celle-ci. Ce sont ces squelettes qui vous effraient, peut-être? Rassurez-vous, il s’agit simplement de pauvres malheureux qui se sont introduits clandestinement dans le temple afin de surprendre nos rituels secrets. Ils sont morts de faim avant de pouvoir trouver le bassin de notre culte.

- Je suis disposé à vous croire, d’autant plus que je n’ai vraiment pas l’habitude d’entrer dans la demeure de jolies dames sans permission!

- On m’a dit que le missionnaire des causes farfelues était charmant! On ne m’a pas dit cependant qu’il était également CHARMEUR!

- Dois-je considérer cela comme un compliment ou un reproche, mademoiselle?

- Tous les hommes sont charmeurs mais rares sont ceux qui reconnaissent leur inutilité à se rendre UTILE.

- Que voulez-vous dire par cette “inutilité à se rendre utile?”

- Vous rougissez monsieur, dois-je en conclure que vous me comprenez?

Paichel se retrouva dans une vaste salle baignée par la lumière du jour. Au fond de la pièce coulait une grosse fontaine qui puisait son eau de source des hautes montagnes avoisinantes. Les jets de la fontaine tombaient dans un grand bassin circulaire où s’y baignaient une dizaine de prêtresses. Elles étaient complètement nues. L’homme préféra détourner la tête afin de leur laisser le temps de se vêtir. Alors qu’il faisait dos à la piscine, il vit une large fenêtre triangulaire par laquelle passaient des rayons du soleil. Une main se posa sur l’épaule du visiteur.

- Vous êtes vraiment trop pudique monsieur Paichel, lui dit la mère des prêtresses.

- Peut-être trop prudent, se contenta de répondre l’homme avant de baiser les mains de la dame.

La mère spirituelle des prêtresses était vraiment belle et son regard limpide inspirait la douceur et la pureté. Les autres vierges se rassemblèrent autour d’elle afin d’accueillir ce missionnaire comme des enfants excités par de la grande visite. Paichel était connu de ces prêtresses sans qu’il puisse s’en expliquer les raisons. Elles connaissaient son nom et même sa vie complète. Il aurait été inutile de demander à ces étranges demoiselles la source de leurs informations. Notre homme le savait si bien qu’il expliqua sans attendre la raison de sa visite. PHÉNIXA, mère des prêtresses lui dit :

- Les géants cherchent à s’allier aux pêcheurs pour faire la guerre aux Atlantes. L’une de ces colonies s’est installée près de Raya, afin d’y bâtir un temple en mémoire de leur monde disparu. Nous ne pouvons juger de la valeur réelle de leurs sentiments puisque nous ne connaissons pas ces étrangers venus d’une lointaine planète. Il se trouve que l’un des fragments de celle-ci tomba sur terre après son explosion. Vous comprenez, les Atlantes voudraient pouvoir conserver un morceau de leur monde mais les géants s’y opposent farouchement. Pour eux, cette pierre tombée du ciel est un présent du soleil. Il n’est pas question qu’ils laissent les Atlantes profaner leur lieu saint.

- Je vois ma mère que cela va créer une guerre de religion.

- Oui, c’est pour cette raison qu’il faut l’éviter en chassant les Atlantes de l’île. Cette terre est aux géants O qui l’ont d’ailleurs appelée “O”. L’Atlantide n’est que le nouveau nom donné par les étrangers. Nous aimerions qu’ils demeurent les frères pacifiques des géants et des pêcheurs mais dernièrement, la découverte de ce fragment d’Arkara laisse à penser que ces étrangers vont tenter de s’établir à Raya. Votre mission nous a été inspirée par Poséidon, Maître des lieux. Il veut que vous parliez à ATLANTIN, le grand architecte de cette colonie Atlante. C’est lui qui a incité des centaines de frères à la conquête de ce lieu sacré.

- Ainsi, ma mère, ma mission est de convaincre Atlantin de se tenir tranquille?

- Poséidon veut voir partir ces étrangers qui bâtissent des petites cités de pierres un peu partout sur l’île. Les géants craignent ces Atlantes qui fabriquent des lumières terribles, vous savez! Ils veulent parler des rayons que certains scientifiques sont en train de mettre au point depuis quelque temps.

- Des rayons, dites-vous?

- Très puissants, croyez-moi. Ils se servent du cristal pour refléter la lumière solaire et la combine à trois autres sources lumineuses provenant de rubis cubiques, de ce métal appelé, Oricalque et enfin, par des cristaux de mégator.

- Du mégator, du mégator... Ce nom me dit quelque chose mais je ne sais pas au juste pourquoi? Vous savez, j’ai connu un maître atlante alors que je vivais au moyen âge. Son nom était Rat-Mage. D’après lui, ses confrères seraient non seulement pacifiques mais refuseraient de coloniser une terre où ils s’y savent étrangers.

- Ce maître était un scientifique n’est-ce pas?

- Je pense qu’il l’était. Pourquoi me posez-vous cette question?

La prêtresse soupira avant de répondre :

- C’est que les scientifiques sont tous plus ou moins naïfs ; ils s’enferment dans leurs laboratoires en s’imaginant connaître le monde. Pendant qu’ils cherchent des solutions pour sauver celui-ci, les hommes s’emparent de leurs inventions pour le détruire. Les grands maîtres Atlantes se font rares comme les grands chefs de tribus. Autrefois, les guides spirituels de Mu et les natifs de ce continent pouvaient s’entendre mais depuis la découverte de cette pierre, les esprits s’échauffent d’un côté comme de l’autre. Vous me dites que ce maître s’appelait Rat-Mage? Heureusement pour vous, il vit à Mu, la capitale de ces étrangers. Rat-Mage est simplement l’anagramme de GET-MAAR, disciple du grand prêtre ADEP.

- Rat-Mage? Toujours vivant? Mais j’y pense, il n’est pas encore ce petit rat blanc que je connaissais ou cet homme imberbe et chauve que j’ai vu dans un miroir!

Paichel s’était fait l’ami d’un petit rat blanc alors qu’il vivait au moyen âge. Ce rongeur était en réalité, un ancien maître atlante qui survivait dans des souterrains depuis la destruction de l’Atlantide. Une seule fois, Paichel vit son visage dans un miroir. C’était celui d’un vieil homme imberbe, chauve et sans sourcils. Ce maître travaillait sur un rayon puissant avant la fin de la civilisation atlante. Sans qu’il le dise, son ami Paichel comprit que le visage de cet homme avait subi les effets d’un terrible désastre. Aujourd’hui nous parlerions de RETOMBÉE RADIOACTIVE, mais à l’époque, on parlait de l’effet du MÉGATOR. Il était non seulement radioactif mais le résultat d’une cristallisation de l’énergie psychique. Sur la planète de ces étrangers, quatre vaisseaux spatiaux étaient gouvernés par ce mégator. Ces petits tubes lumineux étaient comme des cerveaux intelligents qui guidaient ces navires célestes à la vitesse de la pensée. Ce que l’histoire ne dit pas, c’est que deux de ces tubes se retrouvèrent sur terre grâce à la complicité de Primus Tasal. Il serait superflu de raconter l’histoire d’Arkara en retenant seulement qu’une nuit, deux navires volants fondirent littéralement en tentant de trancher le demi-cristal d’une cité de verre. Ces engins furent détruits, sauf que leurs tubes de mégator se retrouvèrent un jour entre les mains de Primus Tasal. Lorsque la planète explosa à son tour, un immense fragment d’Arkara tomba justement en Atlantide. C’est suite à la découverte du météorite et du mégator que les Atlantes s’imaginèrent pouvoir réinventer des vaisseaux de l’espace. Il fallait des navires et surtout des rayons “boucliers”. En effet, Get-Maar et d’autres scientifiques étaient de bonne foi en travaillant à mettre au point un rayon qui saurait détruire les particules parasites de l’espace. Un vaisseau devait posséder un écran protecteur pour voyager à la vitesse de la lumière, sans quoi, un simple caillou de l’espace le traverserait et pourrait même le détruire. Donc ces rayons ou encore ces boucliers désintégraient ces parasites avant qu’ils touchent la coque du navire. Les Atlantes étaient déjà en mesure de désintégrer des montagnes et les quelques expériences qu’ils pratiquèrent sur des collines firent trembler de peur les habitants de l’île. On disait que ces étrangers jouaient avec le feu du ciel.

Paichel connaissait enfin sa mission en Atlantide. Cela ne lui plaisait guère de devoir décourager ces étrangers en les informant que les géants et les pêcheurs se préparaient à défendre leurs biens contre les ambitions d’Atlantin. Ce nom résonnait étrangement dans la tête du missionnaire. Des images remontaient dans son esprit et le troublaient terriblement. C’était comme si un amnésique découvrait, peu à peu, des souvenirs oubliés. Le simple fait de devoir parler à Atlantin éveillait en lui des sentiments incompréhensibles. Puis lorsque la prêtresse prononça le mot ARKARA, le pauvre homme sentit son âme s’émouvoir, au point d’en avoir les larmes aux yeux. Que se passait-il dans son esprit? Pourquoi vibrait-il en entendant prononcer le mot MÉGATOR, CRISTAL, LUMIÈRE, DESTRUCTION D’UNE PLANÈTE? Une image ne cessait de le tourmenter depuis le début de cet entretien avec la prêtresse Phénixa. Il voyait un joli berceau, un nouveau-né, une figure penchée paternellement au-dessus de cet enfant endormi et finalement, cette image disparut pour laisser place à un “flash”. C’est que Paichel était en train de retrouver des parcelles de sa mémoire. Il revit certaines scènes de ce qu’il vécut sur l’ancienne Arkara.

Le missionnaire quitta les prêtresses après qu’elles le firent boire et manger à sa faim. Elles lui offrirent un baluchon rempli de provisions, ainsi que de la nourriture pour son chien Galette. Notre homme partit le coeur troublé. Pour la première fois de sa longue vie, c’est à reculons qu’il accepta de faire l’intermédiaire entre les volontés du dieu Poséidon et les Atlantes. Il admettait que ces étrangers pouvaient accepter d’écouter ce qu’il avait à leur dire, mais ensuite, rien ne dit qu’ils quitteraient l’île. Ils iraient où ensuite? Vraiment, Paichel éprouvait une sorte de sympathie envers ces étrangers venus d’Arkara. Une question revenait sans cesse le hanter alors qu’il était de nouveau monté sur son chien et en route vers la cité de Mu. Notre homme se demandait pourquoi Poséidon, un dieu si puissant et intelligent, s’adressait à lui pour une mission aussi délicate? Il ne comprenait pas encore que le dieu de la mer savait parfaitement quels étaient les liens familiaux entre Paichel et Atlantin. Le grand architecte de la colonie de Mu n’écouterait pas un messager étranger mais, par contre, il se peut qu’il accepte de se laisser raisonner par son PÈRE MERCÉÜR. C’est pour cette raison que Paichel fut choisi pour cette mission et pas un autre.

Galette connaissait bien l’Atlantide. Il l’avait visité dans ses moindres coins, ce qui était un atout important pour son maître Paichel. Il lui dit en trottant sur un sentier poussiéreux :

- Tu vas voir que la cité de Mu est une véritable merveille. Nous devrons traverser plusieurs ponts situés autour de la ville puisqu’elle est protégée par des murs dressés devant des larges canaux d’irrigations. Ceux-ci se déversent dans les grands aqueducs de la cité. Puis, je pense que ces canaux protègent les Atlantes contre des attaques surprises des géants. Tu sais, ces étrangers ont bâti plusieurs petites cités dans le passé et les ont finalement cédées aux tribus de O. Je crois qu’ils n’aiment pas la chicane et jusqu’à maintenant, les Atlantes abandonnaient leurs villages lorsque les géants se montraient trop intéressés par leur façon de vivre. Ils sont très mystérieux ces gens-là. Ils ont finalement décidé de bâtir deux vastes cités en forme de labyrinthes rectangulaires. Lorsqu’on arrivera à la première grande porte d’arche, tu verras un canal si long qu’il entoure entièrement Mu. Ces étrangers disent que toutes les propriétés de leur ancien monde étaient divisées par des petits canaux d’irrigation. Puis, ils prétendent que le grand cours d’eau qui entoure la cité symbolise, pour eux, cette rivière qui faisait entièrement le tour de leur planète. Ils doivent mentir car, avouons-le, une telle rivière devait être “wouf-de-woufement” longue?

- Ils ne mentent pas, se contenta de répondre Paichel d’un air songeur. Est-ce que tu sais d’autres choses sur ces Atlantes?

- Précise, mon maître!

- Enfin, sur leurs habitudes, leurs moeurs, leurs cultures?

- Non, ils vivent en colonie et se déplacent rarement en dehors de leurs deux cités à moins d’avoir de très bonnes raisons. Tu sembles inquiet ; c’est de devoir entrer dans la cité de Mu qui t’ennuie?

Toujours songeur, le missionnaire lui répondit :

- Oui et non ; j’essais de comprendre ce qui me vaut l’honneur de devoir parlementer avec ces Atlantes. Je suis persuadé que les prêtresses du temple sont mieux équipées pour faire fléchir les genoux de ceux qui veulent implanter une colonie à Raya. Je vais déjà me considérer privilégié s’ils acceptent de me recevoir.

- Ils ne sont pas des sauvages mais des étrangers de l’île, lui répondit sa monture essoufflée. Les Atlantes sont très civilisés et même fort accueillants lorsqu’il s’agit de rencontrer d’autres “étrangers”.

- Je le souhaite bien mon brave ami. Tu ne peux rien me dire sur Atlantin, à part le fait qu’il soit un genre de chef militaire de la colonie de Mu?

- Il n’est pas un chef militaire puisque les étrangers ne veulent pas de guerriers pour les protéger. Ils se défendent en dressant des murs autour de leurs cités. Je connais très peu Atlantin. Je sais qu’il est responsable des plans de la ville.

- Il serait architecte ou encore, une sorte de planificateur?

- Peut-être bien, mon maître. Je pense qu’il a supervisé la construction de Mu et qu’il a probablement dessiné les plans de celle-ci. C’est un homme très âgé et surtout très méfiant. Tu n’auras qu’à regarder tous ces ponts autour et à l’intérieur de la cité pour le réaliser. Ils sont tous pivotants et peuvent se relever dès qu’un danger menace les citadins.

- Je vois.

- Tu ne vois rien ; nous sommes encore loin de Mu.

- Je vois.

- Pourquoi dis-tu que tu vois?

- C’est une simple expression, sacré-nom-d’un-chien!

- Je vois, ow-wouf...

Les deux aventuriers s’engagèrent bientôt dans une sorte de croisées de chemins. Plusieurs sentiers s’offraient à eux et Galette prit naturellement la route qui devait les conduire à Mu. Toutefois, son cavalier lui dit en fixant un piquet :

- Est-ce que tu sais ce qu’il y a d’écrit sur ce poteau?

- Je ne sais pas lire, lui répondit le chien.

- Alors, changeons de question ; est-ce que tu sais où conduit cette route que nous voyons près de l’écriteau?

- Bien entendu, voyons!

- Sacré-nom-d’un-chien, s’écria son maître indigné, vas-tu enfin me dire où elle mène?

- Dans un vignoble situé tout près de la deuxième cité atlante.

- Ah ! Ainsi mon nez ne m’a pas menti! Cette odeur particulière de raisins indique qu’il se trouve une cave à vins tout près d’ici.

- Oh ! Tu sais cela ?

- Oui, je savais qu’il y avait un vignoble tout près d’ici avant que tu me le confirmes, loyal compagnon.

- C’est facile de prétendre que l’on sait quelque chose une fois qu’un autre nous le dit le premier. Si tu le savais, pourquoi avoir demandé où mène cette route?

- Ça va, je n’insiste plus. Allons plutôt voir ce vignoble.

- Tu ne parles pas sérieusement? Ta mission à Mu!

- Oh! Elle peut attendre ; j’ai soif et je veux du vin.

- Et tu crois que les vignerons t’offriront gratuitement du vin parce que tu as soif?

- J’en suis persuadé ; les vignerons sont toujours fiers de leurs vins et n’hésitent jamais à le faire goûter aux visiteurs.

- Tu sais cela?

- Je sais cela.

- Tu as été vigneron?

- Non, j’étais clochard de Paris.

- Alors, pourquoi sais-tu que ces vignerons te donneront à boire?

- J’ai hâte d’arriver à ce vignoble ; presse le pas un peu... s’il te plaît!

Cette route conduisait à un vignoble de quelque deux mille hectares. Des vignes y poussaient à l’état sauvage puisqu’elles n’étaient pas alignées et entretenues comme dans un domaine de ce genre. Toutefois, l’étranger ne tarda guère à descendre de sa monture pour déguster l’un des gros raisins rouges, dont le goût amer et juteux laissait entrevoir une très bonne cuvée. Au loin, on pouvait voir les murs d’une petite cité.

- Voici les murs de Pya, deuxième colonie atlante, dit alors le chien.

- Je vois, se contenta de répondre son cavalier excité par l’odeur des raisins.

- Tu regardes les raisins pendant que je te montre les murs de Pya? Les humains sont forts étranges.

- Écoute Galette, je peux voir ces murailles comme toi et en même temps, examiner ces raisins. C’est sans doute pour cela que les humains peuvent faire deux choses en même temps et pas les chiens.

- Les humains sont tous prétentieux, répliqua l’animal ; si tu vois ces murs, dis-moi ce qu’il y a d’inscrit sur la grande porte triangulaire. Moi, je peux voir ces écritures car j’ai une vision bien meilleure que les humains.

- Je vois également ces écritures mon cher ami ; malheureusement, je ne sais pas lire.

- Wouf-de-wouf, tu te croyais plus malin que moi, n’est-ce pas? Il n’y a même pas d’écritures sur cette porte!

- Pauvre Galette, lui répondit son maître en riant ; tu n’es même pas capable d’admettre que les écritures sont trop petites pour que tu puisses les voir à cette distance.

- Il ne sera pas dit que le chien est plus aveugle que son maître. Je vais te prouver qu’il n’y a aucune écriture sur cette porte en allant, de ce pas, vérifier par moi-même.

Le chien, quelque peu naïf, partit donc à toute allure vers cette cité éloignée de quelques lieues et laissa ainsi son maître seul au beau milieu du vignoble sauvage.

Tout à coup, notre homme se fit lapider par une volée de raisins et une voix amère lui cria : “Que fais-tu dans mon champ, grosse tête de noix ?” Un vieil homme, vêtu d’une tunique rouge, tombant en lambeaux, s’approcha à petits pas de son voleur de raisins. Paichel fixait cet homme en éprouvant une sorte de compassion à son égard. Le vieillard avait tant de difficulté à marcher que notre homme préféra aller à sa rencontre.

- Pardonnez-moi monsieur mon effronterie, lui dit Paichel en cherchant à lui soutenir le bras.

- Lâche-moi étranger ; je suis encore capable de marcher seul. Que faisais-tu à mes raisins?

- Je les dégustais monsieur! Ils ont un petit goût sucré qui donnera un degré d’alcool intéressant. Puis, j’aime cet arrière-goût sûre. Vous aurez, vraiment, je vous l’assure, un vin rouge très sec et corsé. Sa robe, légèrement relevée par son arôme velouté, réjouira l’oeil du dégustateur.

- Oui, je sais que ce vin rosé sera tout à fait exquis, lui dit le vieillard qui semblait drôlement excité par les propos de l’étranger.

- Humant ce délice, nectar de la nature, combien d’amateurs savent reconnaître, monsieur, toute la délicatesse d’un vin?

- Oui, ils ont tous une personnalité!

- Et un cachet particulier. Oh ! Je sens monsieur que vous êtes un maître vigneron, qui, comme un père, berce et caresse ses vins lorsqu’il en est fier!

- Oui, oui, c’est juste, s’exclama le vieillard dont les yeux pétillaient d’une passion étrange. Je voudrais bien bercer mon meilleur vin mais, ils sont dans des tonneaux trop lourds.

Il faut savoir que cette expression de “bercer” est simplement une façon de traiter certains barils de vin et surtout d’alcool. Les vignerons avaient tous leurs recettes pour donner de l’arôme à leurs vins en fût (tonneau) afin qu’ils prennent le goût du bois. On faisait faire un demi-tour au baril pour justement permettre au vin de mûrir sans se dénaturer. Certains vignerons berçaient des tonnelets pour mouiller l’intérieur du couvercle de chêne. Comme tout artiste, chacun avait sa méthode, ses rituels ou encore ses trucs du métier. Puisque Paichel paraissait intéressé par l’art du vieil homme, celui-ci l’invita à sa cave à vin. Le gros nez rouge du vigneron était le signe d’un gros buveur. Celui de Paichel n’était pas aussi gros et aussi rougi par l’alcool mais, entre nous, ces deux hommes avaient un “cyrano-pif”, digne de figurer dans la famille de CES ARTS ET NEZ RONDS (César et Néron).

Sans perdre une seconde, Paichel et son nouveau compagnon inconnu se rendirent dans une cave où s’y trouvaient des centaines de tonneaux de vins différents. L’eau à la bouche et le regard braqué sur ce trésor, le missionnaire céda aux pressions du vieillard et dégusta plusieurs vins. Les deux hommes chantaient joyeusement et leurs gobelets suivaient le même rythme. Paichel avait le coude solide tout comme l’autre qui cherchait à éprouver son endurance à l’alcool. Ce vieil homme ne connaissait pas encore Paichel. Un jour, il vida les deux tiers d’un gros baril de vin de messe sans même chanceler. C’était une vraie éponge, ce Paichel-là!

- Ah ! Celui-ci est une vraie petite merveille.

- Vraiment, le mot est trop faible pour décrire son enveloppe et son odeur fruitée, lui répondit Paichel en buvant un “bain d’amour”.

- Puis, que dis-tu de celui-ci, étranger? C’est un “baiser paysan”.

- Hum! Ce vin devrait s’appeler “nuit d’amour!” Un baiser paysan serait plutôt cet autre échantillon que j’ai goûté tantôt. Il est sensuel mais moins crépitant que celui-ci.

- Oui? Oh! Je peux toujours changer le nom de mes vins. De toute manière, je suis le seul à les boire.

- Ah! Mais je suis là pour vous aider mon cher monsieur, s’exclama Paichel en souriant.

- Alors, voici ma dernière cuvée de vin blanc ; dis-moi, tu crois que le nom de “piquant beau lait” lui irait bien?

- Ouf! C’est du solide ça, s’écria son compagnon en humant ce vin, fait à partir de sucre de... je ne sais quoi?

- Qu’en dis-tu? Il est piquant?

- Hum! C’est un élixir de fée. Ouf! Il picote dans la bouche mais c’est vachement bon.

- Ah! C’est parfait! Si c’est vachement bon en plus, le nom de “piquant de beau lait” lui ira à merveille.

Les deux hommes riaient et sombraient peu à peu dans l’ivresse. Alors Paichel dit à son compagnon âgé :

- Je devrais sans doute me présenter, mon cher ami. Je m’appelle Fontaimé Denlar Paichel.

- C’est un nom beaucoup trop long pour s’en rappeler. Le mien est ALBA. Tu vois, tu ne risques pas de l’oublier.

- Alba? Vous êtes Atlante n’est-ce pas?

- Ne m’insulte pas ; les Atlantes sont des misérables pour m’avoir abandonné, moi, Alba, le prince des vergers d’Atlantis.

Ce vieil homme solitaire était Atlante mais, par rancune, refusait de porter l’étiquette raciale de gens qui l’avaient abandonnés dans ce champ. En réalité, c’est Alba qui refusa de se plier aux lois des dirigeants de Pya. On interdisait aux citadins de consommer du vin et surtout, toute liqueur alcoolisée. Cela ne fit sûrement pas l’affaire de ce grand seigneur des vastes vignobles d’Arkara. L’ancien Superviseur de la Cité de verre vivait seul à présent. On le soupçonnait également de pratiquer des cultes étranges à un puissant maître de la noirceur. Il était à la tête d’une secte secrète qui se donnait simplement le nom de “blanc et noir”. On pourrait dire plusieurs choses sur cet homme qui fit pas mal de tort aux Atlantes puisque la punition des fautifs découlait d’une autre de ses erreurs regrettables. Alba était un ambitieux et un dangereux personnage. Lorsque les Atlantes arrivèrent sur terre, ils l’enfermèrent dans une tour dès qu’il fut possible de lui bâtir sa prison. Puis, après plusieurs années, on le laissa sortir puisqu’il était disposé à collaborer au bien-être de la colonie. On réalisa bientôt qu’il soûlait des ouvriers avec ses fichus vins qui étaient particulièrement délicieux. Atlantin fut le premier à s’élever contre ceux qui bâtissaient des maisons et des murs “croches”. Le pire, c’est que l’ancien seigneur fruitier d’Arkara offrait gratuitement ses vins et bientôt, plusieurs citoyens se mirent à boire énormément. On peut s’imaginer le reste assez facilement. La violence et la criminalité risquaient de devenir chose courante dans cette colonie et les chefs décidèrent de jeter Alba en dehors de Pya. Il demeura sagement dans son vignoble et plus personne ne vint lui demander de lui offrir de l’alcool. Paichel était son premier visiteur depuis bien des années et ce sinistre vieil homme en profita pour le soûler.

On pourrait toujours se demander s’il n’aurait pas été plus simple de détruire les vins et les vignes de ce criminel et ainsi l’empêcher de soûler les gens à la moindre occasion? C’est que les Atlantes ne croyaient pas à de telles mesures. En se débarrassant des vignes de cet homme, on aurait peut-être réglé un problème, mais sûrement pas empêché la culture des vignes. Elles poussaient partout à l’état sauvage sur ce continent et les Atlantes n’étaient pas les maîtres de ces terres. Donc, à part d’interdire la consommation d’alcool dans leurs deux cités, les extra-terrestres devaient se contenter de ces mesures préventives. Alba était si vieux qu’il se contentait de cultiver ses vins sans déranger personne. C’est peut-être cela la véritable sagesse. Paichel était persuadé que son ami était sage en vivant comme un ermite. En réalité, c’est l’incapacité de faire autre chose qui calma finalement les ambitions d’Alba. Il était vieux, malade, détesté, délaissé et surtout trop faible pour défendre ses idéologies. Le puissant personnage d’Arkara n’était plus qu’un souvenir...Peut-être!!!

Le chien jappait devant la grotte. Le mot est faible ; il jubilait de joie en criant dans sa langue animale : “J’avais raison, il n’y aucune écriture au-dessus de la porte. Tu as mal vu parce que tu es un humain et non un chien !”

Son maître sortit de la grotte en zigzaguant. La bête ne savait plus si elle devait le laisser monter sur son dos en réalisant qu’il n’y tiendrait peut-être pas en équilibre. Alba aida tout de même le cavalier à s’étendre sur le poil ras de Galette en lui disant : “Ah! Je suis vraiment heureux de t’avoir connu mon cher Paichel. J’avoue qu’aucun autre buveur n’a réussi, avant toi, à me suivre dans une dégustation de vins. Oh ! Il y a peut-être MERCÉÜR qui pouvait tenir debout sans que je puisse parvenir à lui faire fléchir les genoux! Mais ça, c’est au temps de ma jeunesse et je préfère l’oublier. Alors bon voyage et reviens me voir quand tu veux.” Son compagnon lui murmura en tentant d’ouvrir les yeux : “Sacré-nom-d’un-chien, ça c’est une bonne cuite!”

Paichel était trop ivre pour comprendre cette remarque concernant son âme. Il était Mercéür et on peut alors se demander quels furent les liens avec Alba dans une vie antérieure? Selon le vieillard, le seul arkarien capable de boire autant que lui était Mercéür. On comprend mieux, à présent, les tendances de Paichel envers la boisson. À l’époque d’Arkara, celui-ci travaillait comme vigneron. Il était l’un des contremaîtres du vaste vignoble d’Atlantis et même le fils adoptif d’Alba.

Galette et Paichel prirent plusieurs semaines pour atteindre la grande cité de Mu. Elle apparut un matin entre deux montagnes. On aurait dit une île dressée au milieu d’une vallée. Mu, contrairement à certains historiens qui situaient cette cité sur le bord de la mer, en était éloigné de centaines de lieues. Toutes les côtes du continent étaient déjà habitées par des peuples originaires de l’île. La fabuleuse cité de Mu était isolée et difficile d’accès. La vanité de certains survivants atlantes tromperait un jour les rêveurs en prétendant que cette vaste cité dépassait, en beauté, la ville d’Athènes en Grèce. En réalité, Mu était loin d’être le centre des prodiges artistiques de l’Antiquité. Presque toutes les grandes cités de l’époque la dépassaient en beauté. Par contre, Mu pouvait se vanter de posséder les plus longs ponts, les plus larges canaux et les plus hautes murailles au monde. On pourrait même dire que les Atlantes possédaient l’art de construire des structures géométriques quasi-parfaites aux dépens de leur manque d’imagination. Leur cité avait la forme d’un labyrinthe, légèrement rectangulaire. C’était génial mais sûrement pas esthétique. Si nous devions laisser le soin à des savants de bâtir une ville, nous aurions sans doute une assez bonne idée de Mu. Par contre, les temples de la cité renfermaient des merveilles. Il faut donner aux Atlantes cette passion pour tout ce qui se trouve à l’intérieur des choses. Ils n’étaient pas des artistes mais des amoureux de toutes les sciences. Donc, pour voir cette cité “fabuleuse”, il fallait rechercher ses trésors dans les temples et non dans son aspect extérieur, intéressant mais pas captivant. Mu ne pouvait se permettre de paraître à cause des habitants de l’île qui s’intéressaient un peu trop aux pouvoirs des Atlantes. C’était une raison suffisante pour “cacher” tous les secrets dans les temples et les milliers de souterrains créés par eux.

Même si cette cité était entourée d’eau, il faut savoir qu’elle se trouvait au coeur d’une vaste vallée. On utilisait la neige de deux hautes cimes de montagnes avoisinantes pour remplir de grands bassins artificiels. Cette eau était ensuite acheminée dans les canaux entourant la ville. Plus tard, c’est-à-dire vers les années 7200 avant la naissance de Socrate en Grèce, on construisit un autre canal afin de permettre la navigation entre Mu et l’embouchure de la mer. Dans les cent dernières années de l’empire atlante, des guerres éclatèrent entre les tribus de O et les pêcheurs qui voulaient contrôler l’île. Les atlantes ne pouvaient plus circuler à l’intérieur de ce continent sans devoir faire face à des géants ou à des pêcheurs belliqueux qui les accusaient d’avoir divisé leurs peuples, jusqu’alors pacifiques. Finalement, vers l’an 6020 avant Platon, la cité de Mu tomba aux mains des pêcheurs et les atlantes durent fuir vers les collines en emportant leurs inventions. Peu de temps avant la fin de l’Atlantide, les pêcheurs se servirent du grand canal pour se rendre jusqu’à la mer et pendant des années, explorèrent d’autres parties du monde. On pourrait comparer ces pêcheurs aux rustres pirates de l’Antiquité. Ils firent la guerre aux Grecs et même aux Perses avant d’être refoulés dans un coin désertique de la Macédoine. Certains pêcheurs retournèrent en Atlantide mais d’autres préférèrent demeurer en Macédonie. Il se peut qu’Alexandre le Grand soit l’un des descendants de ces habitants de la grande île mais, aucun écrit ne le mentionne dans l’histoire. Les Atlantes périrent presque tous au cours de la destruction de l’île. Quelques colonies trouvèrent refuge en Amérique du Nord, d’autres dans les îles polynésiennes et enfin dans une tribu qui s’appelait ANGLES.

Revenons à Paichel qui se trouvait à présent devant la grande porte de Mu. Elle n’était pas en or mais en laiton. Sur celle-ci étaient gravés quatre grands symboles atlantes. Un grand triangle figurait au-dessus de la porte, un cercle était tracé sur le côté du soleil levant et touchant le sol et la lune. Les deux autres symboles étaient le TAU et la ROSE. Le tau désignait (dans son symbolisme originel) la ligne VERTICALE de la transcendance et la ligne HORIZONTALE du plan terrestre. On disait que celui qui atteint le centre du monde doit obligatoirement transcender le TEMPS pour se libérer de ses illusions. La ligne verticale, c’est-à-dire, le poteau du Tau, servait à désigner l’unité, la libération de l’âme, la fin de la vie terrestre, l’éternité (s’il était placé dans un cercle) et enfin, le centre du monde.

- Regarde Paichel, des hommes ont remarqué notre présence et s’approchent d’un air méfiant.

- C’est normal d’être remarqué mon cher Galette. Tu es un chien géant et moi j’ai l’air d’un primate avec ma peau de rhinocéros laineux!

En effet, deux hommes s’approchèrent des étrangers en faisant signe à d’autres citadins d’en faire autant.

- Sacré-nom-d’un-chien, j’ai l’impression que toute la ville vient à notre rencontre.

- Est-ce bon signe? Lui demanda le chien haletant.

- C’est étrange.

Un vieil homme, vêtu d’une longue robe verte qui se terminait par un collet serré, leva un bras devant l’étranger et porta ensuite sa main à son coeur en disant d’une voix pleine de noblesse : “Sois le bienvenu dans notre cité, toi l’envoyé de Poséidon et missionnaire des Grands-Maîtres du mont Bellapar.”

Un roi n’aurait pas reçu un tel accueil de cette population excitée par l’arrivée de celui qui était déjà attendu dans cette cité. Paichel ne savait comment s’expliquer cette attitude des Atlantes. Il était là, assis piteusement sur son chien, vêtu d’une peau de bête et sentant l’alcool à plein nez.. L’homme était sale mais personne ne semblait remarquer son aspect extérieur. C’était un héros, un missionnaire mystérieux que les grands prêtres de Mu avaient annoncé depuis plusieurs années. “Il viendra, vêtu d’une peau de bête et dominant la bête géante, cria un citadin en rappelant les paroles dites des années plus tôt par le grand prophète Kana.” Un autre vieil homme vêtu de rouge cria à son tour : “Et par sa voix sortiront les mots de la sagesse.” Vraiment, notre pauvre homme n’y comprenait rien!

En réalité, la mission de Paichel était déjà inscrite dans les livres sacrés de Mu. Ceux-ci furent écrits par trois grands maîtres atlantéens. Le premier était KANAPYRA, dit le prophète, ANAKILIMON, dit l’ermite et ADEP, le premier Grand-Prêtre de la colonie atlante qui vint s’établir sur cette presqu’île, cent ans avant la construction de Mu. Il est évident que les maîtres de l’invisible ont inspiré ces trois hommes lorsqu’ils rédigèrent une sorte de calendrier des événements futurs. Les chrétiens possèdent l’apocalypse (révélations) de Saint-Jean, d’autres ont le Talmud, le Yi-king, la bible ou le Coran. Tous ces livres sacrés sont des clefs magiques qui ouvrent l’esprit sur des réalités normalement inaccessibles à l’homme. Parmi ces écrits, on retrouve souvent des prophéties, des révélations, des symboles mystiques et surtout des “voies de la sagesse”. Dans le CALENDRIER ATLANTE, on retrouvait les paroles des maîtres et des prophéties. Au chapitre VII, intitulé “La faucheuse”, on parlait justement d’un missionnaire qui viendrait sauver les Atlantes d’un grand malheur. En réalité, les grands malheurs et les grands bonheurs ont fait partie de toutes les époques du monde. Voila pourquoi on spécifiait que cet homme serait vêtu d’une peau de bête. Encore là, les maîtres savaient que le sens de ces paroles pouvait porter à confusion.

L’homme serait-il recouvert d’une peau de bête ou devait-on simplement y voir un symbole quelconque? C’est toujours extrêmement hasardeux de tenter d’interpréter le sens exact d’un écrit apocalyptique, c’est-à-dire: CE QUI RÉVÈLE PAR SA SYMBOLIQUE, UNE IMAGE DE LA RÉALITÉ SACRÉE ET NON PROFANE. Ceci veut dire simplement que ces écrits ne peuvent se révéler dans une langue profane (dans le sens propre de la lettre) puisqu’ils sont des “images révélées à l’homme dans son âme et non dans son intelligence et sa raison”. Ces livres s’adressent à celui qui médite à l’intérieur et non à celui qui vit uniquement dans le monde extérieur. Il est vraiment dommage que les hommes cherchent à rejeter ce qu’ils ne comprennent pas. Parce qu’ils ne saisissent pas tel ou tel sens d’un livre ésotérique (langage caché), ils devraient au moins le ranger dans la section des livres mystiques. Non, ce qu’ils ne comprennent pas doit obligatoirement être rectifié par des définitions vidées de leur pouvoir symbolique. On veut savoir, même s’il faut pour cela détruire la pensée originelle de ces écrits. Ensuite, on se bat pour défendre des idées qui n’ont rien à voir avec la sagesse de ces manuscrits.

C’est ce qui arriva malheureusement avec le texte atlante qui concernait ce missionnaire vêtu d’une peau de bête. Certains grands-prêtres paraissaient troublés par l’arrivée de celui que d’autres acclamaient comme un messager d’une bonne nouvelle. Ces esprits réfractaires se disaient que si un homme intelligent voulait profiter de la naïveté du peuple, qu’il n’avait qu’à se présenter devant lui, vêtu d’une peau de bête. L’un de ces savants des textes atlantes s’appelait RASNEC ASIEN, grand-prêtre du temple de cristal. Selon lui, ce Paichel était un imposteur qui se servait des textes du calendrier des trois maîtres (Kanapyra-Anakilimon-Adep) pour mystifier le peuple mais... pas lui! Il dit ainsi à quelques confrères excités par la réalisation de la prophétie : “Allons mes frères, ne soyez pas les jouets de ce malheureux farceur. Il pue l’alcool malgré qu’il soit interdit d’en boire. Il est vêtu d’une peau de bête mais fait-elle de lui ce missionnaire que nous attendions? Soyez patients, nous finirons bien par savoir s’il s’agit d’un faux envoyé.”

C’est ainsi que Paichel trouva des ennemis sans les avoir mériter. Il était comme une brebis au milieu des sceptiques qui possédaient beaucoup de pouvoir dans cette cité.

Il y avait trois temples à Mu. Le premier était celui de Poséidon, dieu de la mer, l’autre s’adressait au dieu Absou, maître du feu universel et le dernier était le temple de cristal. C’est là que les savants de cette cité opéraient des prodiges avec du cristal, du rubis et du mégator. On pouvait comparer ce temple à un genre d’université.

Le nouveau héros fut conduit dans un palais protégé par des hommes armés de “bâtons électrifiés”. Ces armes ne tuaient pas mais laissaient tout de même de forts désagréables sensations sur ceux qui osaient s’approcher de ce dôme résidentiel du GRAND SUPERVISEUR de Mu. C’est là que résidait GITONIAL, chef incontesté de la colonie atlante. Il était le fils spirituel de nul autre que Kanapyra. Certaines mauvaises langues préféraient dire “fils naturel” mais on les faisait taire en leur lavant la bouche avec de la boue. Ici, il y a une raison précise pour choisir de la boue plutôt que du savon. En lavant la bouche de quelqu’un avec quelque chose de sale, on lui laissait savoir qu’il disait des méchancetés et non qu’il véhicule un mensonge. Lorsqu’une mère lavait la bouche de son enfant avec de l’eau froide dès qu’il lui mentait, c’était pour la purifier et effacer le mensonge. De plus, comme cette eau provenait du bassin rempli par cette neige fondue de ces deux hautes montagnes de la région, on songeait à la neige blanche, autre grand symbole de la pureté.

Gitonial était un homme doux et affable. Son peuple lui donnait le titre de maître, même si cela le faisait sourire à chaque fois qu’on l’appelait ainsi. Paichel lui baisa les mains dès qu’il fut en sa présence et lui dit respectueusement :

- Je suis très honoré de vous rencontrer, maître.

- Personne ne se souvient de mon nom avec les années, lui répondit le Grand Superviseur de Mu en lui souriant. Appelez-moi Gitonial et je vous appellerai Paichel. Venez avec moi, nous avons sûrement beaucoup de choses à nous raconter. Vous êtes venu de loin?

- De l’époque de l’Homme de Neandertal.

- Seulement! Hé bien! Vous pouvez dire que vous venez de très loin. On m’a dit que vous vous êtes arrêté dans le vignoble de l’ancien seigneur Alba ; c’est vraiment dommage qu’il ait choisi de nous détester pour avoir freiné sa distribution de spiritueux dans nos deux cités. Il vous a sûrement caché son âge n’est-ce pas?

- Il doit être très vieux, répondit Paichel d’un air attristé. Je me demande si l’histoire jugera les Atlantes d’avoir accepté d’abandonner un vieil homme dans la solitude et de ne pas considérer son état de santé. Cet homme est malade ; la simple raison voudrait qu’on veuille au moins à lui apporter un peu de réconfort.

- C’est cela que j’ai dit au conseil des grands-prêtres mais, voyez-vous, Alba a fait tant de mal à notre peuple qu’il nous faudrait toute une génération de belles âmes pour en arriver à lui pardonner ses erreurs. Vous ne semblez pas réaliser qu’Alba est l’homme le plus âgé de cette planète. Il devrait être mort depuis longtemps, tout comme les pionniers atlantes qui arrivèrent ici, accompagnés d’un étrange singe.

- Primus Tasal?

- Vous connaissez Primus Tasal?

- Oh, oui ! Je lui ai aidé à recoller sa boule magique alors que je vivais dans une tribu Néandertalienne.

- Puis-je vous expliquer pourquoi j’insiste sur l’âge d’Alba, à présent que vous semblez connaître ce singe mystérieux qui nous fit quitter Arkara? Venez partager mon repas, Paichel ; je pense que vous pourrez m’expliquer des choses qui m’échappent au sujet d’Alba. Notre conversation demeurera secrète et confidentielle, compte tenu de l’importance politique qui en découlera. Je sais que vous êtes vraiment le missionnaire que nous attendions car l’un de nos écrits, strictement destinés aux chefs atlantes, dit que cet homme connaîtra le singe qui conduisit les fautifs sur terre. Il est dit, en autre, que cet envoyé est le père d’Atlantin.

- Le père d’Atlantin? Ah! Je regrette de vous décevoir Gitonial en vous affirmant ne pas connaître Atlantin. Je sais que je dois lui parler puisque j’obéis aux prêtresses du temple de Cloti. C’est Phénixia, mère des prêtresses qui m’a demandé de raisonner Atlantin et...

- Et quoi Paichel?, lui demanda le Grand Superviseur intrigué.

- Le dieu Poséidon aimerait voir les Atlantes quitter son île.

Gitonial baissa les yeux en disant :

- Vous êtes vraiment ce missionnaire que j’attendais. Un rêve m’a fait voir Poséidon en colère, vous savez! Il soufflait l’eau de la mer sur Mu pour l’anéantir. J’ai cherché à comprendre le sens de ce rêve, mais en vain. Vous me dites à présent que Poséidon veut nous voir quitter son île et je pense que ce rêve n’a fait que me préparer à écouter celui qui parlera au nom de Poséidon. Pourtant, puis-je éclaircir auparavant cette histoire d’alcool? Vous avez rencontré Alba et il vous a fait boire seulement du vin ordinaire?

- Ah non ! Pas du tout, s’empressa de répondre Paichel en se léchant les lèvres. Ses petits vins étaient tout à fait exquis.

- Je pense que j’ai mal formulé ma question. Avez-vous goûté à un élixir au goût de citron, par exemple?

- Sûrement pas! J’ai essayé toutes sortes de vins délicieux mais rien qui pouvait goûter le citron. Puis-je vous faire remarquer que je trouve vos questions très étranges, Gitonial. Vous semblez me soupçonner de quelque chose.

- Oh non! Oh non, pas du tout Paichel; ne croyez pas cela. C’est simplement que je cherche à comprendre pourquoi Alba vous a offert ses meilleurs vins. Cet homme ne fait rien par hasard. Vous êtes sensé être un étranger à ses yeux mais il vous offre ses meilleurs vins en vous laissant croire que c’est parce qu’il est fier de ses bouteilles? Je connais trop ce seigneur pour croire en sa générosité. Il veut se servir de vous; à votre place je demeurerais très vigilant à l’avenir. Maintenant, voici pourquoi j’ai justement parlé de l’âge d’Alba. Je ne sais pas si les prêtresses vous ont dit qu’il détient le secret de la longévité de la vie?

- L’élixir de vie? Non, je n’ai pas été mis au courant de ce fait.

- Je vais donc devoir vous révéler plusieurs choses sur cet homme qui détient cet élixir qui ne procure pas cette éternelle jeunesse mais plutôt une longue vieillesse. Certains Atlantes seraient sans doute disposés à sacrifier leur loyauté envers la colonie de Pya, si Alba leur offrait ce vin au goût de citron. Cet homme est patient et très discret depuis plusieurs années car, il sait parfaitement que les nouvelles générations atlantes finiront par s’intéresser à son âge. Il est le seul survivant des premiers pionniers de la colonie. Vous dites qu’il est malade? De quelle maladie peut bien souffrir un homme qui ne voit jamais de guérisseurs, qui cueille ses raisins sauvages et qui fait son vin sans l’aide de personne? Je pense qu’il a tous les symptômes d’un vieillard aux réflexes ralentis. À part cela, dites-moi de quoi souffre celui qui a vécu des milliers d’années sur Arkara et bientôt cent cinquante ans sur terre? Vous comprenez mieux mon inquiétude au sujet de cet élixir qui risque de nous créer de nouveaux problèmes avec Alba?

- Oui Gitonial répondit le missionnaire en opinant de la tête. Vous réalisez que cet homme n’a nul besoin de se battre contre les autorités atlantes pour regagner sa popularité et son prestige. Il deviendra un jour ou l’autre le symbole de celui qui défie la mort.

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